Trop de réglementation financière pénalise la croissance Article lu 879 fois, depuis sa publication le 14/11/2024 à 11:31:42 (longueur : 9928 caractères)
Le mieux est souvent l’ennemi du bien, également en matière de finance. À trop vouloir imposer des garde-fous au secteur bancaire pour éviter toute nouvelle crise systémique (comme avec les normes de Bâle III), les institutions et organismes régulateurs privent de l’accès au crédit certaines entreprises. Dont nombre de PME et ETI, qui jouent pourtant un rôle moteur dans les économies.
La fragilité du secteur bancaire restera comme principale cause du séisme de la crise financière des subprimes, en 2008. Dans cet enchaînement de défaillances qui ont ébranlé toutes les économies du monde, la responsabilité des banques a en effet été immédiatement pointée. Pour accorder leurs crédits, de nombreux établissements bancaires américains avaient eu recours à des produits financiers complexes, masquant en partie la véritable nature des risques qu'ils prenaient dans ces opérations. Avec les conséquences que l’on sait. C’est ce qui justifie la réaction du Comité de Bâle dès 2010, à travers la réforme dite de « Bâle III ». Objectif : inciter les banques à améliorer la gestion interne de leurs risques et affiner la méthode de calcul du ratio de solvabilité.
Comme son nom l’indique, Bâle III constitue la troisième série d'accords établis par le Comité de Bâle, après ceux dits de Bâle I et Bâle II. À chaque étape, la réglementation imposée a renforcé davantage les niveaux de fonds propres pondérés des risques qu'elle anticipe. Ces exigences croissantes obligent les établissements de crédit à détenir un niveau de fonds propres minimum en adéquation avec l'ensemble des risques encourus. Ces règles ont été transposées en droit communautaire européen par l'intermédiaire d'une directive dite CRD 4 (Capital Requirements Directive 4).
« Les exigences en capital plus sévères sous Bâle III ralentissent le rythme du crédit aux PME »
Cette succession de réformes aboutit mécaniquement à imposer au secteur bancaire une mobilisation massive de capitaux. D’autant que Bâle III détermine aussi un ratio de flux à court terme, le Liquidity Coverage Ratio (LCR), qui vise à s'assurer que la banque dispose d'actifs liquides en quantité suffisante pour faire face à ses sorties de cash dans une situation de stress extrême sur une période d'un mois.
Ce ratio est calculé comme le rapport entre un « stock d'actifs liquides de haute qualité » et les sorties nettes de trésorerie à 30 jours ; l'établissement de crédit devant avoir en actifs liquides au minimum 25% des sorties nettes de trésorerie.
Comme le prévoyaient déjà certains économistes il y a une douzaine d’années, la définition plus restrictive des fonds propres, ainsi que des normes de ratios plus exigeantes entre fonds propres réglementaires et risques pondérés, ont réduit la capacité des banques à fournir des crédits sur le long terme. Ceci s’explique en grande partie par les limitations à trouver du refinancement long terme sur les marchés, ce qui pénalise la mise à disposition de lignes de crédit de back-up pour les entreprises.
Les premières victimes de cette difficulté d’accès au crédit sont les petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que les entreprises de taille intermédiaire (ETI).
C’est précisément ce que note le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board), l’organisme international qui coordonne la réglementation financière du G20 depuis la crise financière : « Les exigences en capital plus sévères sous le régime Bâle III ont, dans certaines juridictions, ralenti le rythme du crédit aux PME et ont conduit à un resserrement des conditions de la part des banques les plus « affectées », c’est-à-dire celles qui étaient les moins capitalisées ». L’organisme présidé par l’Américain Randal Quarles précise que « le volume de prêts aux PME reste inférieur aux niveaux d’avant crise » dans certains pays, dont la France. En outre, de nouvelles pratiques sont apparues, la part de prêts couverts par un actif ayant augmenté depuis la crise. En réponse, dans les pays concernés, « davantage d’entreprises ne recherchent plus de financements externes, mais se financent davantage sur leurs propres ressources ».
Bâle III modifie donc profondément le business model des établissements bancaires. Au point que les pays membres du G20 s’inquiètent des conséquences de ces mesures de sécurité imposées aux banques depuis dix ans sur leur capacité à financer correctement l’économie, notamment dans le cadre du financement des collectivités locales. Le contexte d’alourdissement de la dette est également un facteur inquiétant en Europe, et tout particulièrement en France. Surtout dans une conjoncture peu favorable aux relations commerciales, en raison des guerres et frictions géopolitiques.
Et même si l'épargne est abondante en France et en Europe, celle-ci n'est pas investie sur le long terme, car les épargnants préfèrent pouvoir disposer rapidement de leurs fonds, y compris malgré une rémunération rendue aujourd'hui négative par l'inflation. La rareté de l'épargne longue ne permet pas l'émergence d'un financement durable des entreprises par les marchés, et limite nettement les perspectives d'une relève par les acteurs privés d'États désormais trop endettés pour assumer le financement de l'économie.
La généralisation d’un « principe de précaution » pour les risques de dérives
Surtout : les petites et moyennes entreprises qui n’ont pas les moyens de se financer sur leurs propres ressources se retrouvent privées, en partie, d’un accès au crédit pourtant vital. Avec des conséquences qui peuvent être délétères pour l’ensemble du système économique, comme le montre l’étude de l’Insee sur les performances des PME et ETI au cours de la décennie 2010-2020. Il y apparaît clairement que ces sociétés sont des « locomotives » de l’économie nationale : « Les créations nettes d'emplois des PME traduisent d'abord le dynamisme des jeunes entreprises », relève cette enquête, notamment dans la phase de croissance : « Les entreprises ayant moins de trois ans d'existence contribuent à hauteur de 18 % des créations et 4 % des destructions d'emplois ».
D’où l’importance de permettre au marché d’encourager l’innovation et le développement de ces PME et ETI, et de favoriser les conditions de leur financement pour qu’elles puissent continuer à créer de la richesse.
Dans son dernier rapport sur l'avenir du marché unique, l'ancien Premier ministre italien Enrico Letta note également l’urgence de retenir dans l’UE « les flux de capitaux qui partent aujourd'hui massivement vers les Etats-Unis », et qui vont parfois alimenter des fonds d’investissement américains… qui achètent des entreprises innovantes européennes !
La prise en compte de ces réalités fait défaut dans l’arsenal de réglementation du Comité de Bâle. Et ce sont ces contraintes qui incitent souvent les PME et ETI cotées à recourir à des mécanismes financiers alternatifs pour accéder à un crédit qui leur est par ailleurs interdit par les banques depuis les accords de Bâle III. Ces solutions alternatives concernent notamment les OCA (Obligations convertibles en actions) ou, dans une moindre mesure, les Equity Lines ou PACEO (Programme d’Augmentation de Capital par Exercice d’Options).
Mais sur ce terrain aussi, les règles se sont également durcies, puisque les autorités de régulation des marchés financiers transposent à leur niveau les directives CRD 4, instaurant ainsi une sorte de « principe de précaution » afin de limiter au maximum les risques de dérives. Car en échange d'argent frais et rapidement disponible pour les ETI, l'émission d’OCA entraîne logiquement une forte dilution des valeurs boursières aux dépens des actionnaires minoritaires.
L’attitude précautionneuse de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) est aussi ici celle des responsables politiques, « ces derniers ayant du mal à accepter que, comme tout autre investissement, les marchés financiers constituent un risque et que chacun doit prendre ses responsabilités », explique Dominique Ceolin, PDG d'ABC arbitrage.
Pourtant, ces produits financiers hybrides ou alternatifs sont bien souvent ceux de la dernière chance pour les chefs d’entreprises qui y recourent : « Il est évident que plus la société est en bonne santé, plus ses choix sont larges et plus elle pourra mener ces opérations dans de très bonnes conditions. Mais quand la santé de la société se détériore, le champ des possibles diminue », ajoute Dominique Ceolin. Le message résonne avec des accents d’autant plus graves que les données publiées par le groupe Altares, ne portent pas à l’optimisme : le troisième trimestre de l’année 2024 marque une période critique pour l’économie française avec un nombre de défaillances d’entreprises en hausse de 20% par rapport à la même période en 2023.
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