Comprendre, se préparer et gérer les polycrises (Pr Jean-Paul Louisot)

« Si vous vous sentez confus et que tout a un impact sur vous en même temps, ce n'est pas une expérience personnelle et privée. C'est en fait une expérience collective. » (Adam Tooze)

Les défis auxquels ont été confrontées les entreprises en 2024 ont évolué, créant de nouveaux risques et augmentant ceux qui existent pour 2025 et au-delà. Des tensions géopolitiques à la menace croissante de cyber-attaques et aux catastrophes climatiques, les organisations doivent adopter des mesures proactives pour protéger leurs salariés, leurs biens et leurs opérations. Il est donc essentiel de comprendre les principales menaces prévues dans le futur et de développer des stratégies concrètes pour atténuer ces risques, assurer la continuité des activités et améliorer la résilience opérationnelle des organismes.

Les crises en cascade et interconnectées dans lesquelles nous nous trouvons depuis le début de la décennie exigent un nouveau descripteur pour définir l'ampleur des problèmes auxquels le monde est confronté. La guerre en Ukraine a fait grimper les prix de l'énergie et des aliments. Les pressions inflationnistes qui en ont résulté ont déclenché une crise mondiale du coût de la vie qui a provoqué des troubles sociaux. En plus de tout cela, les émissions de carbone ont continué d'augmenter à mesure que les économies rouvrent après la pandémie.

Les vocabulaires collectifs stockés dans les grands dictionnaires du monde ne semblaient pas contenir un seul monde pour résumer tous ces conflits. Voici donc une nouvelle : Polycrise. La polycrise est un concept qui a été lancé par le théoricien français de la complexité appelé Edgar Morin, puis reprise par Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, en 2016, pour décrire l'expérience d'essayer de gouverner l'Europe lorsque vous avez dû faire face à la crise de la dette grecque, à la première agression de Poutine contre l'Ukraine et aux bruits du Brexit en arrière-plan, et à la crise des réfugiés en Syrie qui s'est étendue à l'Europe.

L'utilisation de la polycrise évoque le désordre actuel des problèmes du monde — pandémie, guerre, extrêmes climatiques, pénuries d'énergie, inflation, autoritarisme croissant et ainsi de suite — et le terme est devenu populaire.

La demande de nourriture, d'eau et d'énergie augmente en raison de la croissance démographique et du progrès socioéconomique. L'expansion des systèmes d'énergie renouvelable crée une demande sans précédent de minéraux et de métaux rares. L'écart entre la demande et l'offre de ces ressources pourrait avoir des conséquences catastrophiques, notamment la perte de biodiversité, l'effondrement des écosystèmes, les guerres commerciales et les conflits armés entre les nations.

Dès 2023, Carolina Klint, responsable de la gestion des risques pour l'Europe continentale chez Marsh, a fait part de ses inquiétudes quant aux répercussions possibles de ces crises liées au cours du Forum Economique Global en 2023 : « Nous devons prendre du recul et commencer à planifier les imprévus. Je pense que, de façon générale, la plupart des choses qui nous préoccupent sont trop courtes et modestes. Donc, il faut avoir une vision à long terme et holistique des risques à l'horizon. Je pense que si nous travaillons ensemble, nous serons en mesure de nous préparer à ces risques cumulatifs et d'y répondre avec une plus grande agilité. Les dirigeants sont confrontés à de multiples crises qui se produisent en même temps, donc essentiellement une polycrise. Lorsque nous avons demandé aux dirigeants ce qu'ils s'attendaient à voir se produire, bien plus de 80 % ont répondu que nous sommes confrontés à des crises constantes qui se combinent sur une trajectoire de plus en plus instable. Bien que 10 ans se soient écoulés, ce chiffre devrait baisser pour atteindre environ 50% »

Ce que les spécialistes ont voulu décrire, et pourquoi le terme est encore utile, c'est cette expérience de ne pas avoir une seule crise avec une seule logique clairement définie. Par exemple, la crise financière de 2009 concernait les titres adossés à des créances hypothécaires. Mais cette réunion à un seul moment de choses qui, à première vue, n'ont rien à voir les unes avec les autres, mais semblent s'accumuler pour créer une situation dans l'esprit des décideurs politiques, des responsables économiques, des familles, des individus.

Les facteurs clés sont l'économie, la politique, la géopolitique et ensuite l'environnement naturel qui nous souffle en retour. Et ces quatre choses ne se réduisent pas à un dénominateur commun. Elles ne se réduisent pas à un facteur unique. Le terme de polycrise a une utilité réelle descriptive on dit : « Regardez, il se passe beaucoup de choses ici d'un coup. » Et c'est précisément ce que nous essayons de comprendre.

John Maynard] Keynes est l'un des méta-théoriciens les plus intéressants de la façon dont doivent être traités des problèmes complexes et enchevêtrés qui sont bien pires qu'ils ne devraient être à la suite d'une coordination politique ratée. Dans le sillage de la Première Guerre mondiale, une polycrise très différente de notre moment actuel, Keynes a essayé de délimiter et d'arbitrer cette question de savoir quels morceaux du problème nous devrions gérer et comment.

Dans cette logique, Keynes estimerait sans doute aujourd'hui qu'il faudrait retirer certains problèmes de l'ordre du jour. Ainsi, le problème du chômage ou des taux d'intérêt excessivement élevés peut être traité par la politique économique.
Il s'agit donc d'offrir un ensemble de solutions techniques qui permettent de retirer ces questions du tableau afin de pouvoir ensuite concentrer le capital politique limité, la construction du consensus d'une démocratie fonctionnelle, sur des questions plus difficiles à résoudre et où un …

Lire la suite de l'étude du Pr Louisot dans le n°833 du magazine RiskAssur-hebdo. Cliquer ICI